Mai 68 : la révolution
Une génération plus tard, c’est justement cette société très codifiée qui sera au cœur de la contestation des manifestions de mai 68.
Les revendications partent du milieu ouvrier, gagnent le milieu étudiant et sont autant politiques, sociales que culturelles. Toutes les formes d’autorité sont alors rejetées.
A travers cette critique du pouvoir, c’est la société patriarcale qui est visée. L’ordre et les valeurs bourgeois : la famille, le travail et la propriété sont considérés comme des valeurs avilissantes pour l’individu, l’enfermant dans un carcan social et l’empêchant d’exprimer ses désirs réels, en témoigne le fameux slogan scandé par les manifestants : « jouissez sans entraves ».
De ce fait, au-delà des revendications sociales, c’est toute une génération qui s’affirme en tant que catégorie à part entière possédant sa propre culture, sa propre pensée. La jeunesse s’oppose alors au capitalisme, à la société de consommation et revendique surtout une libération des mœurs, un assouplissement de la morale conservatrice.
Rejet de l’institution du mariage et promotion de l’« union libre »
La génération de mai 68 est donc une génération en rupture qui s’oppose à la morale bourgeoise. Le mariage, comme institution, est fustigé et remplacé par un idéal d’ « union libre ».
En quelques années nous sommes passés « d’une morale du devoir, à une éthique de la liberté » analyse très justement Philippe Brenot .
C’est dans ce contexte que naît le couple. Il s’agit d’inventer un nouveau mode de relation entre les sexes dont la vocation n’est ni économique, ni utilitaire : le couple doit se suffire à lui-même en quelque sorte et n’avoir d’autre but que celui du bonheur partagé.
La famille en tant que produit d’une convention sociale est, elle aussi, condamnée. En effet, la famille était jusqu’alors une structure obligatoire à laquelle participait chacun des individus en fonction de rôles très normatifs (la mère, le père, la grand-mère, le fils ou la fille aînée…) laissant peu de place à l’expression des individualités.
A la fidélité, valeur qualifiée alors de « passéiste » est préférée la « jouissance » et la réalisation de tous ses désirs. Le couple devient le lieu de la réalisation de la liberté individuelle et de l’accomplissement d’une sexualité libérée des normes sociales et morales.
Dans un tel contexte, le couple a valeur de politique. Autrement dit, c’est l’idée nouvelle du couple qui est porteuse d’un message politique. Il s’agit là d’un changement majeur par rapport aux générations précédentes puisque la vie privée des individus devient le lieu d’une revendication politique : le couple, dans son sens moderne, est le lieu où évolue concrètement l’égalité des sexes.
Des revendications égalitaires dans la répartition des rôles
Dans les années 68, le féminisme connaîtra un impact sans précédent. La lutte, alors symbolisée par la loi Weil sur l’avortement votée en 1975, permet aux femmes d’exercer un contrôle sur leur propre corps, entérinant un long processus de libération commencé avec la législation des pilules contraceptives en 1967.
Dans l’idéal, la sexualité n’est plus le lieu de l’exercice du pouvoir des hommes sur les femmes ce qui va dans le sens d’un « équilibrage » de leurs rapports. Dans les faits, comme l’analyse Michel Bozon [1], sociologue, en 1975 la plupart des femmes déclaraient n’avoir eu qu’un partenaire sexuel au cours de leur vie contre trois pour les hommes…
Si la revendication égalitaire pénètre bien tous les aspects de la vie d’un couple, il ne faut pas être trop optimiste quant à sa réalité sociale. Dans les faits, la répartition des rôles demeure encore strictement sexuée et les femmes cumulent souvent deux fonctions : celui à l’extérieur et un dans le foyer.
L’amour comme forme « pure »
Si les liens qui unissent deux personnes ne doivent plus être « utilitaires », si leur relation est fondée sur l’égalité entre les partenaires, les institutions traditionnelles telles que le mariage, ne fonctionnent plus. Il faut donc inventer un nouveau concept, une nouvelle structure autour de laquelle s’organise la vie à deux.
Dans ce contexte, l’amour prend un sens inédit et devient une valeur refuge. L’amour devient ainsi une forme « pure » qui n’est plus assujettie à des contraintes sociales ou économiques mais prend le sens de l’expression d’un désir.
L’amour doit être un sentiment gratuit et passionné, dans le sens où il n’est pas rationnel ou l’objet d’un quelconque calcul. Être amoureux est, jusqu’à aujourd’hui, la condition préalable à la constitution d’un couple.